C’est une grande aventure,
Parfois facile, d’autre fois très dure.
Des idées te viennent pendant le travail,
Il faut vite les noter avant qu’elles ne s’en aillent.
Pendant des semaines, plus rien ne te viendra en tête,
Puis tout d’un coup, les images se bousculeront et ce sera la fête.
Ratures par-ci, reprise par-là et parfois c’est le recommencement,
C’est comme un chacha, deux pas derrières, deux pas devant.
Tes personnages tu aimeras et tu honoreras,
Tout au long de l’histoire, tu les développeras.
Quand finalement tu écriras le mot fin,
Des larmes de joie, tu pleureras enfin.
Mais ne t’emballe pas, au bout de tes peines tu ne seras point,
La réécriture, les corrections et les commentaires il te restera au moins.
Après tout ce travail, l’attente commencera,
Puis plusieurs refus, tu recevras.
Le découragement te gagnera sans doute,
Et l’espoir te quittera en cours de route.
En toi s’insinuera le doute,
Ta confiance te quittera et tu seras en déroute.
Et si ce que tu as écrit n’était pas bon ? penseras-tu.
Et si les gens n’aimaient pas mon histoire ? C’est peut-être trop farfelu.
Puis un jour, sans t’y attendre tu seras édité,
Tu éprouveras la joie, le bonheur et la fierté.
Et recommencer, tu désireras… J
L’eau du lac est calme et reflète la nature l’entourant comme la surface d’un miroir. Quel cliché élimé. On croirait entendre ma mère avec ses phrases toutes faites. Parfois elle disait: « le lac est d’huile » d’autre fois c’était: « le lac est un miroir ». En fait, ce matin, elle est plutôt boiteuse cette belle image. En fait, l’eau est tout à fait inerte et réfléchit très bien la lumière, tout comme un miroir, mais une coloration verte altère quelque peu la réflexion. Pourquoi? Vous demanderez-vous, parce que des milliers de minuscules flocons verts flottent dans ce milieu aqueux qui semble souffrir de tous les maux du monde. Il est la risée de toute la Ville de Québec, mon petit lac. Aux yeux des citadins, c’est tout juste une marre d’eau stagnante pour héberger les canards.
Pourtant il est beau, mon lac, même si sa santé laisse un peu à désirer. La substance verte, appelée algue bleue — quelle drôle de nom — n’est pas la seule raison pour laquelle le vieux cliché ne colle pas ce matin. Il y a aussi la brume qui s’élève en volute au-dessus de cet horizon liquide. Le miroir, pour reprendre l’image de ma mère, est complètement embué. Il est comme celui de la salle de bain après une douche trop longue et trop chaude.
Comme j’en ai l’habitude, je me suis levé tôt pour venir saluer le Soleil qui devrait poindre à l’horizon dans quelques instants. Ma blonde elle, cette belle dormeuse, ne sera pas debout avant une bonne heure encore. Ce n’est pas donné à tout le monde d’être matinal. Vu comme une tare, un défaut ou même une malchance par tous les lève-tard, pour moi, c’est une bénédiction. Mon petit café, un bon livre et ma chaise Adirondack sur le quai. Quel petit bonheur banal.
Tiens, me dis-je en arrivant sur le quai, elle est détrempée ma chaise. J’aurais dû m’y attendre avec toute cette humidité. Pourquoi n’ai-je pas pris une guenille, me dis-je en maugréant. Qu’à cela ne tienne, je n’ai qu’à prendre mon gilet de pyjama.
Après avoir essuyé ma chaise, je m’installe sur la plate-forme flottante qui fait face au lac. Déjà, le brouillard qui habite la surface de l’eau s’illumine devant moi. Les pics-bois, qui ont loué le gros trou dans le tronc du saule pleureur, semblent, tout comme moi, se préparer au spectacle gratuit qui va bientôt s’offrir à nous. Le tacatacatac que le mâle fait en frappant à répétition sur le tronc du vieil arbre est très facile à reconnaître. Sa récolte de larve d’insecte devrait être encore bonne ce matin. Il travaille fort et le vieil arbre, qui sert à la fois de condominium et de garde mangé, en paye le prix. Je suis d’ailleurs un peu triste de constater que toute la couche d’écorce qui entourait le trou de l’oiseau est maintenant répandue au pied de l’arbre. Mon père l’avait planté au bord du lac quand j’étais jeune.
— Il ne manquera jamais d’eau celui-là ! m’avait-il dit alors.
Plus loin, un martin-pêcheur semble répondre au pic de son ricanement familier. J’imagine que l’absence de vent et cette atmosphère cotonneuse créent les conditions parfaites pour une petite chasse matinale. Il a faim, lui aussi. De petites grenouilles profitent également de cette ambiance particulière pour coasser un peu et chasser les moustiques qui virevoltent au-dessus de l’eau.
— Gâter vous les amis, plus vous en mangerez, moins il en restera pour me piquer.
Les volutes de brumes continuent de s’élever au-dessus du lac, tels de petits fantômes, au fur et à mesure que la clarté augmente et que tout l’horizon s’embrase d’une lueur orangée. Je ne sais pas si je réussirai à voir le lever du soleil, mais la clarté est très agréable. L’atmosphère est beaucoup moins morne qu’il y a quelques instants, alors que toute la nature était très monochromatique.
Ces petits moments privilégiés me permettent de repenser à ma vie, à mes joies, à mes peines. Mon père et ma mère me manquent et cet endroit me les rappelle continuellement. Si j’ai la chance de rester sur les rives de ce beau plan d’eau, c’est grâce à leurs efforts continuels et au flair de mon grand-père. Grand-papa avait su voir le potentiel que ce petit lac aurait dans un avenir qui lui paraissait tellement lointain à l’époque. Par la suite, papa et maman avaient trimé dur pour aménager ce petit paradis dans lequel je vis aujourd’hui. À cette époque, tout se faisait à bras, personne ne songeait même à se payer une location d’outils spécialisés. À vrai dire, je ne suis même pas certain que ce concept existait à l’époque, mais bon! Les abords du lac Saint-Augustin sont jonchés de grosses roches. Papa et mes oncles ont dû les déplacer, les enterrer et même les casser avec des masses et des ciseaux à froid. Ils ont même empiété sur le littoral en y déposant toutes les roches qu’ils trouvaient sur le terrain et en les recouvrant de terre. Je ne suis pas certain que ce serait très acceptable aujourd’hui, mais n’est-ce pas à Montréal qu’ils ont construit des îles avec la terre qu’ils ont extraite des tunnels du métro? Même époque, mêmes pratiques.
Une gorgée de café me ramène à l’instant présent. Je commence à discerner le contour des nuages au travers du brouillard matinal. La teinte orangée de tout à l’heure est en train de virer au rose profond.
Est-ce que ça existe comme couleur le rose profond?
Moi, je suis un gars, et n’est-il pas de notoriété publique que les garçons sont moins sensibles aux fines nuances de couleurs que les filles? N’étant donc pas un expert coloriste, j’ai décidé d’appeler cette couleur le rose profond, point final!
Après tout, c’est aussi original que le blanc coquille d’œuf ou le bleu acier, n’est-ce pas?
J’ai toujours trouvé que les plus beaux levers de soleil requièrent une couverture nuageuse partielle. Non, mais c’est vrai ! Si le ciel est trop dégagé, vous verrez uniquement une grosse boule jaune s’élever à l’horizon, alors que si le ciel est trop ennuagé, vous ne verrez absolument rien. Une couverture nuageuse parfaite multipliera les teintes, la lumière et les effets lumineux. C’est comme une boîte à surprise; on ne sait jamais ce qui en sortira.
D’ailleurs, ça me rappelle un coucher de soleil à Sorrento, en Italie. La baie de Naples est devant nous vers l’ouest juste au pied du Vésuve. Le soleil joue à cache-cache avec de gros cumulus et, plus d’une fois, nous pensons ne pas voir la vedette principale effectuer sa performance. La première partie du spectacle est assurée par un artiste invité : un petit voilier. Pendant une courte éclaircie, il navigue dans la traînée laissée par le soleil qui commence à flirter avec l’horizon en coulisse. C’est de toute beauté, mais ça ne saurait durer en raison de tous ces nuages qui se sont invités au spectacle.
Et voilà, comme je m’en doutais, ils se faufilent tous pour mieux voir la scène et du même coup, ils me gâchent la vue.
Est-ce que nous serons remboursés ?
On s’attendait vraiment à mieux que ça.
Ah les artistes…
Tout à coup, comme s’ils avaient lu mon mécontentement dans traits déçus, les nuages, chargés de lumières, s’écartent comme les rideaux d’un majestueux théâtre et laissent toute la place à ce fabuleux performeur qui est en pleine possession de son art.
Bravo! C’est magnifique!
Un bruit derrière moi me sort de mes souvenirs.
- Allo mon amour. Mais qu’est-ce que tu fais dehors à l’heure des poules?
Ma blonde debout avant Le soleil ! Il va falloir que je mette un gros X sur le calendrier.
- Assieds- toi et regarde ! Le show va commencer !
Elle me sourit, m’embrasse et m’indique l’état un peu poisseux de la chaise que je lui désigne.
- Attends un peu, je vais t’essuyer ça.
- Pas avec ton gilet quand même!
Je lui fais un petit sourire niais et je m’exécute. Elle me fait la grimace et s’installe à mes côtés. De longs rayons de lumières émergent à présent des nuages, mais j’ai l’impression qu’on n’aura pas la même performance qu’à Sorrento. Et pourtant, juste une petite brise pourrait tout régler. Le pic-bois ne joue plus de tambour; la nature est calme. Je tiens la main de ma blonde et notre regard est fixé sur l’horizon.
La tête des petits fantômes qui dansent toujours sur le lac est touchée par des doigts de lumières qui percent entre deux nuages lumineux. L’horizon s’embrase de mille feux et le rideau s’ouvre enfin. Quelle performance nous avons. La demi-boule de feu qui monte au-dessus de l’horizon semble chauffer les fesses des petits chérubins blancs qui sont installés sur la ouate grumeleuse qui la cachait, illuminant du même coup leurs rondeurs d’une couleur rose teintée d'orange. Une auréole de nuage, sur leurs têtes, reflète cette même couleur et s’étend à l’horizon tel une couverture que le soleil repousserait pour bien les réveiller. C’est magnifique. Un bref regard à la surface de l’eau me confirme que le miroir, toujours intact, n’est plus embué.
On va avoir une belle journée !
J’espère que la représentation de demain saura être tout aussi belle.
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